Archive 2017 : Présentation du groupe de recherche «Gouvernance internationale des mobilités et reconfiguration des expériences migratoires »

Extrait projet quinquennal 2019-2023, présenté à  l’automne 2017


Responsables : F. Boyer, F. Lestage, S. Potot

La gouvernance internationale des migrations, telle qu’elle s’impose actuellement, conduit à  interroger les modèles de migrations autant dans les pays du Nord que du Sud. L’hypothèse est qu’elle conduit à  une complexification de ces modèles de migration, ancrés dans des régimes d’historicité divers, par l’imposition croissante de logiques de contraintes, qui s’expriment via des politiques d’expulsion, de rapatriement ou de retour, dans lesquelles la dimension sécuritaire occupe une place de plus en plus centrale. Ainsi, à  l’échelle individuelle, les trajectoires migratoires apparaissent de plus en plus segmentées faites de blocage, de revirements, d’attente voire d’installation dans des lieux inédits pour les migrants. Les retours ou relocalisations de migrants témoignent de ce régime de contraintes qui s’exprime sur les parcours, que ces retours ou relocalisations soient le fait des migrants eux-mêmes ou la conséquence des politiques. L’hypothèse centrale est que ces logiques politiques contemporaines remettent en cause les situations de transit, ces temps d’attente aux frontières ; les migrants sont de plus en plus amenés à  s’inscrire dans des processus de renoncement à  la mobilité, qui participent à  la construction d’un effet de frontière non pas réduit à  une ligne, mais inscrit dans des espaces de plus en plus vastes (le Mexique, le Sahel, la Méditerranée…).

Les processus migratoires contemporains seront ainsi analysés en fonction des expériences multiples de mobilité, tout en portant une attention particulière aux contextes politiques locaux, nationaux et supranationaux. Comment cette gouvernance internationale des migrations s’exprime-t-elle à  l’échelle des politiques locales, nationales, mais aussi supra-nationales ? Comment ces différentes instances de mises en oeuvre des politiques que sont l’État, voire les entités décentralisées dans certains cas, les instances supra-nationales (Union européenne, CEDEAO…) s’articulent-elles pour définir différents régimes de contraintes, dont les conséquences se lisent à  l’échelle des individus et de leur expérience migratoire ? Une autre dimension du politique est celle touchant aux acteurs du développement et/ou de l’humanitaire, qui adoptent une position de plus en plus ambiguà« vis-à -vis de ces politiques migratoires. Si la question d’un opportunisme de ces acteurs autour de la question migratoire face aux bailleurs se pose, n’assiste-t-on pas à  la mise en place d’un processus plus structurel qui articule le développement, la migration et la sécurité ? Ainsi, au Nord comme au Sud, on assiste à  un renouvellement de la dialectique classique migration et développement, qui repose sur l’adjonction de la sécurité à  ce diptyque et plus largement sur l’adoption des principes de cette gouvernance internationale des migrations par l’ensemble des acteurs. Par exemple, si les politiques de retour peuvent apparaître comme un fil rouge des politiques migratoires depuis la fin des années 70, en quoi les catégories actuelles de ” retour volontaire “, de ” relocalisation “, de ” rapatriement “ obligent à  poursuivre la réflexion dans un contexte de globalisation de ces politiques ? Ces contextes politiques jouent dans le sens d’une facilitation ou d’une complexification des pratiques, des représentations et des systèmes de circulation, qu’ils contribuent à  produire.

Au niveau individuel, les expériences migratoires sont à  envisager à  différentes échelles spatiales et temporelles. Une attention particulière sera portée aux expériences du blocage, du revirement, plus largement du retour. L’hypothèse est que les phénomènes de retour ou de relocalisation ne sont pas uniquement portés par les politiques, mais constituent aussi l’une de leurs conséquences ; les situations de blocage pouvant amener les individus à  s’inscrire dans un processus de renoncement à  la mobilité.

Dans ce cadre, la notion de ressource sera particulièrement questionnée : ressource est ici entendue à  la fois comme ressource pour migrer (dans un sens classique de savoir et de pouvoir-faire des migrants), mais aussi comme ressource pour changer de route, repartir en arrière, se relocaliser, s’installer… Quelles ressources mobilisent les migrants lors de ces expériences de blocage ou de relocalisation ? Quels sont les types de ressource mobilisés : humanitaires, communautaires, politiques, religieuses ? Au-delà  de la question de la mobilisation de telle ou telle ressource, la réflexion portera sur les mécanismes de production, de construction de ce qui fait et devient ressource au fil des trajectoires migratoires. Selon quelles échelles temporelles notamment se construit la ressource ? Dans un ici et maintenant de la route ? Ou dans des interactions qui se jouent sur des temporalités et des distances plus longues ?

La dimension du blocage, comme celle de l’installation dans des lieux inédits pour les migrants pose la question de l’incertitude et de la façon dont elle se gère aux échelles individuelles et sociales. L’objectif est de penser cette notion d’incertitude d’un point de vue sociologique et anthropologique, et non d’un point de vue économétrique, comme c’est souvent le cas dans la littérature scientifique. La compréhension de l’incertitude du parcours migratoires se construit en lien avec l’analyse des expériences individuelles dans leur globalité. Le contexte politique contemporain amène-t-il à  une redéfinition du champ de l’incertitude, de la façon dont elle se construit et s’exprime ?

Les situations de blocage ou d’installation questionnent également la dimension identitaire du point de vue des migrants. Si des travaux, produits notamment à  l’URMIS dans le quadriennal précédent font référence à  des communautés d’opportunité, d’expérience qui se construisent tout au long de la route et dans le transit, l’objectif ici est d’explorer les identités ambiguà«s des migrants dans ces situations de blocage ou dans ce processus de renoncement à  la mobilité.

Activités

Amorcées via le dépôt d’un projet ANR en 2017 et un projet de publication pour 2018, les activités de ce groupe de travail s’articuleront autour de la réalisation de journées d’étude thématiques, visant notamment à  mettre en regard différentes situations migratoires (du Mexique au Sahel ou à  la Méditerranée). L’objectif est d’amener les chercheur-e-s de l’URMIS mais aussi nos partenaires au Mexique et en Afrique du Nord et de l’Ouest à  échanger afin de construire une réflexion commune sur cette question de la gouvernance internationale des mobilités et des situations de blocage. Une publication finale viendra clôturer ce processus de mise en regard des situations migratoires.