Présentation actualisée du groupe de recherche, printemps 2023, pour le prochain contrat quinquennal.
Bilan du GR « Genre » de l’URMIS 2017-2022
Le groupe de recherche « Genre » de l’URMIS est aujourd’hui composé d’une vingtaine de chercheuses et chercheurs de l’URMIS, dont des chercheuses associées insérées dans le milieu professionnel associatif et institutionnel, et des doctorantes. Il réunit des membres de l’URMIS qui mobilisent ou souhaitent mobiliser le genre comme catégorie d’analyse des phénomènes sociaux, que leur démarche utilise explicitement ou non le concept.
Présentation scientifique générale du groupe : Le genre comme catégorie d’analyse au croisement des rapports sociaux de pouvoir et au cœur des faits migratoires
Ce groupe de recherche a repris l’approche de Joan Scott concevant le genre comme catégorie d’analyse et comme rapport de pouvoir. « Elément constitutif des rapports sociaux fondés sur les différences perçues entre les sexes », le genre est une « façon première de signifier les rapports de pouvoir » (Scott 1986). Le genre peut être défini comme un rapport social, « un système de bicatégorisation hiérarchisée entre les sexes (hommes/femmes) et entre les valeurs et représentations qui leur sont associées (masculin/féminin) » (Bereni et al. 2008). En tant que rapport social particulièrement activé dans la vie quotidienne, le genre s’imbrique avec les rapports sociaux multiples, de classe et de « race », rendant les multiples concepts et approches « intersectionnelles » (cf. par exemple Collins & Bilge 2016) particulièrement pertinentes pour considération au sein du GR genre. Cela rend également le genre une catégorie d’analyse saillante et transversale pour interrogation à partir des études de l’URMIS. Il est ainsi possible de considérer les questions et travaux scientifiques du GR genre à partir des trois axes de recherche de l’URMIS.
Dans un premier temps, dans le cadre de l’axe de l’URMIS « Migrations et circulations », les chercheuses et chercheurs du GR genre considèrent l’analyse des dimensions genrées des enjeux, parcours ou expériences de migrations (Lesclingand 2004, 2011; Hellio 2008, 2010 ; de Montvalon 2010; Vidal 2020). On peut s’intéresser, depuis les travaux pionniers de Mirjana Morokvasic (1984), à la généalogie de l’intérêt scientifique et de l’action sociale et publique accordé à la sexuation des phénomènes migratoires (Manier 2010, 2013… ; Manier et Frigoli 2013). Dans ces mobilités humaines nous nous intéressons également à la circulation ou transformation de pratiques culturelles genrées des hommes ou femmes migrant∙es et leurs filles ou fils né∙es en France (Hamel ; Lesclingand et al 2019). Nous pouvons également nous intéresser à l’analyse des enjeux et modalités de circulation globalisées des pratiques culturelles liées au genre (de Gasquet 2012, 2017…), les dimensions et rapports de genre derrière les configurations de départ en migration (Levy 2022) ou des conditions socioéconomiques et socioprofessionnelles dans le lieu d’accueil (Eberhard ; Vidal 2020), ou du genre comme catégorie d’intervention publique et privée (Hamel ; Manier ; de Montvalon) ou comme support de connaissances diffus, remanié selon les contextes locaux (Lacombe 2021…). Il s’agit par là d’aborder les enjeux, modalités de déploiement, usages ou formes de légitimation ou de contestation d’une égalisation des conditions – ou d’une distinction de pratiques – entre les sexes.
Dans un deuxième temps, la dimension genrée de l’axe « Fabriques de l’altérité » interroge les formes et mécanismes d’expression et de (re)production de racisme genré ou de catégories ethniques sexuées. Nous nous intéressons aux façons dont le genre est producteur de différenciations et de hiérarchisations sociales, ainsi que les façons dont le genre est coproduit et renforcé par les catégories ethniques et les relations interethniques (Hellio ; Manier 2010 ; de Montvalon ; Schuft 2010). Le groupe est notamment un espace de réflexion sur les différentes approches qui permettent d’aborder l’imbrication de multiples systèmes de pouvoir, dont notamment la classe, la race et le sexe, et leurs dimensions « intersectionnelles ».
En troisième lieu, l’axe sur « Pouvoirs et appartenances » prend en considération les rapports de pouvoir principalement abordés à l’URMIS et des thématiques fondatrices qui en éclairent certains de leurs traits, migration et racisme, tout en suggérant de les inscrire dans les dynamiques qui « font société » (citoyenneté, nation et nationalisme, régimes politiques, religion) ou qui sont des unités d’analyse du social (la ville, le territoire, les mouvements sociaux, la circulation internationale des idées politiques, la violence de masse etc.). Nous nous intéressons aux effets et aux mécanismes de renforcement des rapports sociaux de pouvoir multiples, ainsi qu’aux modes d’appropriation ou de résistance aux catégories qui constituent et structurent ces hiérarchies sociales. Une des directions de recherche s’intéresse à la place du genre dans la construction nationale, communautaire, et dans toute forme de construction d’appartenances collectives (Lacombe 2019 ; Schuft 2010, 2012 ; Selek 2014). En lien avec l’axe 1, nous interrogeons la circulation des militances (par exemple féministes) et la façon dont cette circulation affecte les supports idéologiques, les trajectoires individuelles et les socialisations politiques, les engagements, le travail associatif etc. Nous analysons la division sexuée et racisée du travail, des mobilisations et des appartenances collectives. La place accordée aux migrant∙es ou des personnes racisées dans le marché du travail, dans l’action publique (Manier 2010…), dans les discours politiques (Frigoli & Manier 2013) ou dans d’autres espaces sociaux en France (Lévy & Lieber 2011 ; de Montvalon 2015…) peut être analysé à l’aune des dimensions genrées. Nous pouvons également analyser les manières dont ces processus configurent les hiérarchies sociales et formes d’appartenance et d’exclusions sociales (Manier 2010… ; Eberhard et al. 2017 ; Eberhard & Rabaud 2013). Les mutations des pays des Suds, notamment celles ayant trait aux transitions démographiques, aux transformations spatiales, aux reconfigurations du travail, à la révolution démocratique et aux permanences de l’autoritarisme, peuvent être explorées au prisme du genre (Lacombe ; Lesclingand). Enfin, en lien avec le réseau VIsaGe à l’USPC (Analyse des violences de genre, données-santé-jeux d’échelles), nous revenons sur la problématisation publique relativement récente de la violence masculine, les violences sexistes, et sur ses effets dans la construction de connaissances nouvelles en sciences sociales (Lacombe 2022 ; Lacombe & Garance 2022 ; Rossé ; Selek 2014).
Organisation scientifique du travail
Ce groupe de recherche, qui a débuté ses activités en 2017, a expérimenté plusieurs directions de travail. Une première direction a consisté à revenir de manière réflexive sur l’histoire des approches croisant genre, migration et race. Notamment, une séance avec Catherine Quiminal a permis de revenir sur la prise en compte du genre dans les premiers travaux du laboratoire, et sur la place de membres du laboratoire dans les études sur le genre en France. D’autres séances ont été consacrées depuis à la place du genre et de la sexualité dans les approches françaises de l’intersectionnalité, y compris sous la forme, en 2020, d’un atelier de lecture.
Une seconde direction a consisté à faire du groupe un espace d’échange sur les récits d’itinéraires de recherche des membres du GR Genre, dans un double objectif : donner naissance au groupe de recherche à l’URMIS à partir de ses membres, et interroger des constructions disciplinaires et scientifiques sur le genre à partir des trajectoires individuelles. Différentes interventions ont ainsi permis de revenir sur le fait d’aborder le genre en démographie (M. Lesclingand), sur le religieux (B. de Gasquet), ou à propos du politique, qu’il s’agisse d’évoquer les violences de genre dans l’espace politique d’un pays dit « du sud » (D. Lacombe), ou des masculinités (P. Selek).
Dans une troisième direction, le groupe a été un espace de présentation des travaux en cours, notamment pour les doctorant·es du laboratoire (Florie Bavard, Sarah Boisson…), ou les travaux sur les violences de genre (Christelle Hamel, Delphine Lacombe…). L’ensemble des échanges ont permis de repérer des thématiques sur lesquelles approfondir des dialogues plus resserrés entre membres du groupe. Cela a permis de préparer des séances en binôme, notamment une intervention à deux voix entre Delphine Lacombe et Pınar Selek sur genre et ordre politique, et une autre entre Sarah Boisson et Laura Schuft (dans le cadre d’un séminaire à l’EHESS).
Le GR est également force de proposition pour les séminaires du laboratoire, et a également accueilli une chercheuse invitée à l’URMIS, Jessica Roda, pour une intervention sur des artistes juives ultra-orthodoxes en Amérique du Nord.
Projet du GR genre de l’URMIS
Le GR genre s’est construit comme un espace d’intégration des nouvelles et nouveaux membres abordant le genre dans leur recherche, et comme un espace d’échange autour des travaux en cours au sein du laboratoire, rôle qui va se poursuivre dans les prochaines années. L’objectif du groupe pour le prochain quinquennal est de poursuivre ce rôle d’espace d’échange au sein de l’URMIS, et de rendre visible cette dynamique collective à travers une ou plusieurs productions communes (journée d’étude, dossier de revue ; un podcast permettant de retracer certains parcours de recherche a aussi été envisagé).
Plusieurs thématiques ont été identifiées par les membres comme étant à poursuivre plus particulièrement. Sur le plan épistémologique, c’est notamment le cas des apports des approches décoloniales et des approches queer à l’analyse des phénomènes d’imbrication entre genre et racisation. Sur le plan des terrains, c’est le cas de l’analyse de la place du genre dans les mobilisations antiracistes et/ou de l’immigration, et de la place des enjeux liés à l’origine dans les mobilisations féministes et LGBTQ+. Sur le plan des ancrages de recherche, l’objectif est aussi de travailler sur la comparaison et les circulations entre des mobilisations minoritaires aux Sud et au Nord. Enfin, sur le plan des méthodes, les échanges au sein du groupe ont abordé à plusieurs reprises les enjeux de catégorisation dans les approches qualitatives comme quantitatives, parfois d’autant plus prégnants et sensibles lorsqu’il s’agit d’évoquer des populations dominées à l’intersection de rapports de pouvoir multiples.